jeudi 1 avril 2010

Jeudi Saint

Je resonge aujourd'hui, Jeudi-Saint, à un texte de Bernanos, dans son roman La Joie : Chantal de Clergerie, l'héroïne, est comme en une extase transportée dans le coeur du Christ au Jardin d'agonie, et elle revit de l'intérieur les sentiments qui furent alors les siens. Voici :
"C'est à la trahison qu'Il pense, et elle y pense comme lui. C'est sur la trahison qu'Il pleure, c'est l'exécrable idée de la trahison qu'Il essaie vainement de rejeter hors de lui, goutte à goutte, avec la sueur de sang... Il a aimé comme un homme, humainement, l'humble hoirie de l'homme, son pauvre foyer, sa table, son pain et son vin - les routes grises, dorées par l'averse, les villages avec leurs fumées, les petites maisons dans les haies d'épines, la paix du soir qui tombe, et le enfants jouant sur le seuil. Il a aimé tout cela humainement, à la manière d'un homme, mais comme aucun homme ne l'avait jamais aimé, ne l'aimerait jamais. Si purement, si étroitement, avec ce coeur qu'Il avait fait pour cela, de ses propres mains. Et la veille, tandis que les derniers disciples discutaient entre eux l'étape du lendemain, le gîte et les vivres ainsi que font les soldats avant une marche de nuit, - un peu honteux tout de même de laisser le Rabbi monter là-haut, presque seul - criant fort, exprès, de leurs grasses voix paysannes en se donnant des claques sur l'épaule, selon l'usage des bouviers et des maquignons, Lui, cependant, bénissant les prémices de sa prochaine agonie, ainsi qu'Il avait béni ce jour même la vigne et le froment, consacrant pour les siens, pour la douloureuse espèce, son oeuvre, le Corps sacré, Il l'offrit à tous les hommes, Il l'éleva vers eux de ses mains saintes et vénérables, par-dessus la large terre endormie dont Il avait tant aimé les saisons. Il l'offrit une fois, une fois pour toutes, encore dans l'éclat et la force de sa jeunesse, avant de le livrer à la Peur, de le laisser face à face avec la hideuse Peur, cette interminable nuit, jusqu'à la rémission du matin." (La Joie, Pléiade, p. 684)

Voilà de quoi nourrir, me semble-t-il, notre célébration de la Cène et notre adoration nocturne devant le Corps consacré pour "la douloureuse espèce" - belle manière de désigner l'humanité de tous les temps.

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