mardi 19 octobre 2010

"Le Nom de la Rose"

Tout le monde se souvient, je pense, d'avoir lu ou d'avoir vu le roman (et le film tiré de ce texte) d'Umberto Eco : Le Nom de la Rose. C'est l'un des plus beaux romans de la deuxième moitié du XXème siècle, à la fois historique, initiatique, érudit, bien écrit, policier, etc.

J'avais toujours été intrigué par le vers mis en exergue du roman en question, et que voici tel qu'Eco le transcrit :

Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus.

Ce qui peut se traduire "La rose ancienne n'est plus là, debout, que par son nom, et nous, les noms que nous tenons sont nus." (Bon, j'ai un peu augmenté la traduction, pour le confort de tous.) Il est à noter que cette citation donne son titre au roman : "Le Nom de la Rose."

Question : d'où cela vient-il? Qu'est-ce que cela veut dire?

Réponse, à trouver dans la littérature spirituelle du XIIème siècle, que je n'ai décidément pas fini d'apprendre à connaître. Un moine de Cluny, un certain Bernard de Morlaix, a en effet rédigé à cette époque un traité intitulé De contemptu mundi ("Le mépris du monde") dans lequel il rappelle la grandeur passée de Rome et le fait qu'à son époque cette ville qui fut le centre du monde ne règne plus en rien. Et il écrit ce distique d'hexamètres dactyliques (c'est le terme précis pour désigner ce genre de vers) :

Nunc ubi Regulus aut ubi Romulus aut ubi Remus?
Stat Roma pristina nomine, nomina nuda tenemus.

Ce que je traduis (avec la liberté rappelée ci-dessus) :

"Maintenant, où est Regulus, où est Romulus, où est Remus?
La Rome ancienne n'est plus là, debout , que par son nom, et nous, les noms que nous tenons sont nus."

Où l'on voit qu'Umberto Eco, qui connaissait tout et donc aussi ces vers de Bernard de Morlaix, a changé une seule lettre : Roma est devenu rosa!
Où la question rebondit : pourquoi donc, sinon pour rappeler que, comme dit l'Ecclésiaste, "tout est vanité" et que tout disparaît, non seulement la Rome antique, mais même la rose "qui ce matin avait déclose sa robe de pourpre au soleil et a perdu cette vesprée les plis de sa robe pourprée et son teint au vostre pareil" (Ronsard). Des choses importantes, des êtres aimés, des réalites les plus solides en apparence et qui motivent nos vies, "ce que nous retenons, ce sont des noms, rien que des noms, des noms tout nus"!
Où la question rebondit encore : n'y aurait-il donc rien de solide, rien de sérieux, serions-nous livrés au "relativisme" si souvent dénoncé par le pape actuel?
Les mots ailés entre nous portent le souvenir des choses, leur trace et leur parfum - ils sont ce qui nous reste du monde aimé. Et ils ne sont pas rien : ils sont la présence même, la présence qui a consenti à la disparition, à la non évidence. Ils sont la lueur d'aube de la Résurrection.
Et voici le secret de la foi chrétienne : elle sait cela. Elle consent à cette disparition, à cette faiblesse d'être, à cet anéantissement, à cette "kénose" (pour reprendre le terme grec par lequel Paul la désigne dans sa Lettre aux Philippiens ) : le Christ lui-même est anéanti, parce que cet effacement est la trace de sa mise au service - de la mise au service de Dieu, qu'Il est - de tout humanité souffrante. Sans cela, point de véritable incarnation, point de véritable salut - nous serions dans une religion fière d'elle et péremtpoire, arrogante et assurée de son bon droit toujours. Une religion que nous ne voulons pas, qu'il faut dénoncer, parce qu'elle est celle d'un Dieu dont on souhaite être athée, dont on doit être athée. Le contraire du christianisme.

Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus...

1 commentaire:

  1. La Rome ancienne n'est plus là /
    Debout, que par son nom, et nous /
    Les noms que nous nommons sont nus /

    Trois octosyllabes (4.4/2.4.2/2.4.2) au rythme pur, avec le son de la nasale dentale: permettez à un lecteur classique de dire son plaisir à vous lire. L'écriture, ce n'est pas seulement l' E majuscule.

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