samedi 9 avril 2011

Lazare, intacte émotion

Tous les trois ans (et c'est le cas cette année), au cinquième dimanche du Carême, la liturgie catholique, fidèle à la plus antique tradition, nous donne à lire pratiquement l'intégralité du chapitre onzième de l'évangile de Jean : l'épisode de la résurrection de Lazare. Cet épisode était destiné (et l'est toujours) aux "scrutins" (c'est-à-dire : aux choix) décisifs des catéhumènes qui doivent à Pâques recevoir le baptême. Or, tout y est déroutant... Je ne reviendrai pas ici sur ce qu'en a dit, magnifiquement, Lytta Basset, lors de sa Conférence de Carême chez nous, mêlant son deuil et celui des deux soeurs, Marthe et Marie, et celui de Jésus. Mais combien ce texte est étrange... La lenteur de Jésus, d'abord, à se mettre en chemin, alors que le texte insiste pour dire qu'il "aimait" Lazare, et Marthe, et Marie, et qu'il savait son ami très malade... Ses paroles prophétiques et paradoxales, parlant du "sommeil" de son ami, alors qu'il évoque sa mort, et réduisant par là, si l'on veut, la mort humaine, inévitable, à un sommeil... L'incompréhension des siens, la nôtre aussi sans doute, celle de Thomas, notre "jumeau", puisqu'on dit là que telle est la signification de son nom, Thomas le douteur, Thomas l'impertinent, Thomas qu'on aime tant, Thomas qui nous ressemble, Thomas qu'on reverra après Pâques, Thomas qui aura besoin de voir pour croire... Tellement nous, vraiment, notre jumeau... Le deuil des deux soeurs, Marthe et Marie, Marthe la plus forte extérieurement, Marie cloîtrée dans son chagrin, dans sa dépression peut-être (Lytta dixit), oui, et leur reproche, commun : "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort!" Oh Ce reproche! Le reproche qu'il faut faire à Dieu, et au Christ, devant la cruauté de toutes nos morts, le reproche de ce petit ménage, entendu avant-hier devant leur bébé mort-né : "Dieu n'est pas là!" "Si tu avais été là..." Oh! Entendre jusqu'au bout ce reproche, dont Jésus du reste ne s'offusque pas, ce reproche qui fait partie de la foi. Et qui le nie par vertu se prive tout simplement de croire... Et cependant, et tout de même, l'assaut de confiance de Marthe, devant Jésus qui lui dit des choses étonnantes : "Je suis la résurrection et la Vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, il vit. Crois-tu cela?" Et, elle : "Oui, Seigneur!"... Et la colère de Jésus, qui tremble parce que malgré tout on ne le croit pas sur parole, et qu'il va falloir qu'il fasse un signe extraordinaire... Et la douleur de Jésus, obligé de ramener de la mort, où il était bien et déjà ressuscité avec lui, et déjà en Dieu, son ami Lazare, pour que les autres croient qu'en lui est la Vie. Pas un cadeau qu'il lui fait, à Lazare, qui va devoir "re-mourir". Ce n'est déjà pas drôle de mourir un jour, une fois, mais alors, deux fois, un autre jour... Jésus s'y résigne dans la colère... Et le mot, alors prononcé : "Déliez-le, et laissez-le aller!" Déliez-le de tout, de ses bandelettes qui l'emprisonnent dans la tombe, de tout ce qui le retient, de tout ce qui l'entrave. Oh! Découvrir encore et encore que le Christ est là pour notre liberté, pour nous défaire de nos emprisonnements, oh, respirer avec lui l'air de l'exode, quitter les esclavages... Et le scrutin, aux catéchumènes, et à nous-mêmes : Voici la foi. Voici le Christ. Lazare, toi, futur baptisé, veux-tu venir dehors, veux-tu devenir signe de la Vie? Dans toute la littérature universelle, je ne crois pas connaître texte plus grand que celui-là.

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