samedi 11 juin 2011

La grâce et la liberté, Versailles et Port-Royal

Je rentre d'un pèlerinage diocésain à... Versailles. Versailles, direz-vous? Pèlerine-t-on sur les traces de Louis XIV?
Eh bien, oui!
Ou, plus exactement - prenons l'époque avec le lieu - autour du XVIIème siècle français à Versailles, siècle de ce que l'abbé Bremond appellera plus tard "l'Ecole française de spiritualité" (avec le Cardinal de Bérulle, saint Jean Eudes, saint Vincent de Paul, Monsieur Ollier, etc.) qui voulut faire des chrétiens - et des prêtres, en particulier - des baptisés qui "reproduisent en eux les états et mystères de Jésus". Siècle de Port-Royal, aussi (dont nous avons visité "les Granges" et les établissements de ses "Messieurs"), de la rigueur protestante devenue catholique dans le jansénisme mais aussi, et en même temps, de la rigueur de la pensée contre la suffisance de la Cour et les compromis trop faciles entre le pouvoir et la foi. Siècle de Pascal, l'intransigeant philosophe, le génie, le mathématicien (inventeur, pour rappel, de la première machine à calculer), le converti, aussi et surtout.
Nous avons marché sur les pas de ces gens-là, du "Grand Roi" et de Pascal, de Monsieur Ollier et des jansénistes de Port-Royal, nous avons visité Saint-Cyr, évoqué les oeuvres de charité de Madame de Maintenon et les lettres moins pieuses de la Princesse Palatine, nous avons mis nos yeux dans le regard du duc de Saint-Simon, le grand mémorialiste de l'époque qui campe si bien la comédie de la Cour, la comédie de tout cela, la comédie humaine, la comédie du pouvoir - Saint-Simon qui n'est pas dupe, un modèle d'écrivain, un modèle d'homme libre.
Ils avaient tous raison : les jansénistes voulaient à juste titre défendre la grâce de la foi, telle que saint Augustin l'avait pensée et écrite. Louis XIV voulait de l'ordre dans son Royaume - c'était son métier. Les Jésuites voulaient, côtoyant le pouvoir, influer sur lui pour le rendre chrétien. Pascal voulait convaincre. Mais pourquoi se sont-ils tous à ce point bagarrés, écornés, rentré dedans, sinon parce que la nature humaine, quand elle associe la conviction religieuse et la soif de pouvoir ou le désir de gouverner, devient horrible - ce qui, par parenthèse, donne raison à la théologie du péché originel? Voilà au moins une leçon que nous pouvons retenir : que la foi ne doit pas chercher le pouvoir pour s'établir. Que le pouvoir ne doit pas chercher la foi pour s'agrandir. Car tous deux y perdent alors, en crédit et en noblesse.
Il faut méditer sur les bienfaits de la laïcité, notion complexe qui ne renvoie pas dos à dos les croyances et les convictions politiques, qui n'est pas non plus la "neutralité" (ah, l'horrible mot! Etre "neutre", c'est être tiède, ni oui, ni non, autant dire rien du tout. Il ne faut pas être neutre, jamais!). La laïcité, c'est un cadre global offert par l'Etat impartial à chacun pour dire, professer sa foi dans le respect de celle des autres et de ceux qui n'en ont aucune. La laïcité est très difficile à mettre en oeuvre, à promouvoir et à respecter.
Elle est - je vais ici dire quelque chose qui peut-être choquera -, dans tout ce que les chrétiens ont à proposer aujourd'hui, probablement leur tâche la plus urgente et qu'ils peuvent tirer de leur propre fonds, car elle s'enracine dans l'allégeance absolue à l'autre, à son altérité, à son étrangeté. Ce qu'en Jésus Dieu a manifesté à l'égard de tout homme - jusqu'au sang versé pour cela.

Ce soir, notre évêque est venu confirmer des jeunes ici à Enghien. Nous avons longuement parlé, lui et moi, de la situation du doyenné, dans divers aspects, notamment économiques. Et nous avons évoqué la difficulté signalée ci-dessus de conjoindre la gestion, l'économie et la pastorale sans main-mise et sans volonté de pouvoir. Nous avons prié ensemble pour les jeunes qu'il allait confirmer, déjà plus des enfants, pas encore des adultes, au bord d'un âge difficile : que l'Esprit les rende libres. Libres à l'égard des puissances et du pouvoir. Libres à l'égard de l'argent et de sa fascination mortifère. Libres à l'égard des aliénations de toutes sortes (sexe, drogue, addictions, mais aussi miroitements de carrières où l'on écrase les autres pour arriver. Arriver à quoi?) Que l'Esprit leur soit Esprit de don - d'abord les autres, moi après, pas l'inverse. Nous croyons vraiment que c'est la clé du bonheur, humain et spirituel. Sinon, pourquoi préparerions-nous ce genre de célébration?
Sommes-nous fous de le croire?

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