samedi 26 novembre 2011

Les diverses fécondités de l'amour

Quelquefois on se dit, quand on est comme moi célibataire (par choix personnel et par discipline ecclésiale, les deux assumés vraiment en toute liberté et avec bonheur), quelquefois donc, on se dit : "Quelle sera la fécondité de ma vie?" Et on lorgne, avec de temps en temps un brin d'envie, vers les copains de rhéto, mariés, parents, grands-parents (je vais en revoir un ce lundi, qui - je l'ignorais jusqu'ici, habite l'une des "mes" paroisses!) Oui, quelquefois, on se dit : "Qu'aurai-je laissé?" C'est probablement le trouble le plus grand du célibataire que je suis : ne pas se "survivre" dans des enfants, dans une famille. Et c'est aussi pourquoi j'aime les familles - la mienne, bien sûr, d'abord, celles de mes soeurs et neveux - et puis toutes les familles.
Nous avons quand même fait, nous les prêtres, nous les moines et les moniales (car dans la discipline de l'Eglise catholique, au fond, ce choix est le même : l'Eglise de rite latin a choisi - les dates sont imprécises - de n'appeler au ministère de prêtre ou d'évêque que des moines, des célibataires "pour le Royaume de Dieu"), nous avons quand même fait, dis-je, un étrange choix.
Mais des années après, j'atteste qu'il peut rendre heureux autant que l'autre.
Et que la fécondité ne tient pas à "se marier, avoir des relations sexuelles, fonder une famille, procréer", mais à "donner sa vie". Les gens qui se marient sans donner leur vie, je veux dire, sans la donner vraiment - ça ne tient pas la route, ça ne tient pas du tout.
Les gens qui restent célibataires sans donner leur vie, pareil.

Ce matin, funérailles admirables d'un confrère, Jean, parti à 77 ans. Il a tellement donné sa vie que... l'église d'Enghien était remplie de jeunes. On a compté 650 communions (par les hosties distribuées, qu'il faut bien renouveler), et tout le monde ne communie pas. Quelle fécondité!

Quelle joie de dire qu'une vie donnée peut être - non, est nécessairement -féconde!

Et le reste? Que chacun s'examine!

mercredi 23 novembre 2011

Entendre les leçons de Platon... et de l'histoire

Dans La République, son traité le plus incisif sans doute, Platon, le philosophe grec, théorise à propos de la démocratie athénienne. Il fait notamment valoir cette idée : lorsqu'on se désintéresse de la politique (au sens noble : de la vie de la cité), lorsqu'en démocratie on refuse, par exemple, d'aller voter (et le vote était annuel à Athènes), parce qu'on pense ou dit "Tous pourris, pas un pour relever l'autre", alors on tombe immédiatement ("immédiatement"!) de la démocratie à la tyrannie, de la démocratie, autrement dit, à la dictature.

L'histoire a donné maintes fois raison à Platon.

Un exemple, parmi d'autres : la montée du nazisme en Allemagne dans les années 1920-1930.

. Le nom, d'abord : un curieux mélange, "National-Socialisme" (Nazi, premières lettres du mot "National" en allemand). Attelage rêvé du nationalisme et du socialisme. Un temps rêvé chez nous, récemment. Heureusement abandonné. Abandonné?

. Le fond de crise, ensuite, comme on parle d'un fond de sauce. La crise boursière américano-européenne de la fin des années '20 et des années '30. Cela ne vous fait-il pas penser à une autre crise financière américano-européenne de la fin des années 2000, début des années 2010?

. Le racisme ambiant, encore : "Mort aux Juifs!", et on l'a fait, dans ces années terribles (et comment!) "Non aux Arabes, aux Musulmans, aux étrangers", dans des années plus récentes... chez nous.

. La démagogie, enfin : l'émergence d'un beau parleur frustré, qui mobilise le peuple lui aussi frustré et le faît rêver à ses droits reconquis, à sa liberté détruite, à sa gloire oubliée, à sa richesse, surtout! Pour le moment : manque chez nous. Combien de temps? J'invite les dictateurs en herbe à tenter leur chance, il y a un créneau...

. Que manque-t-il donc, pour que l'histoire, non contente de bégayer, se répète vraiment? La fin de quelques remparts, dont le rempart européen (monnaie unique, coopération, etc.), que d'aucuns réclament (nous verrons les scores de Mme Le Pen en France l'année prochaine, nous verrons comment joue la solidarité pour la Grèce, le Portugal, l'Espagne, l'Italie, etc., et surtout jusqu'où et jusques à quand elle peut tenir).

Platon avait raison.
Lisez Platon, relisez Platon... et, comme on le disait autrefois dans les rues de mon village, "Attention à vos enfants!"

jeudi 17 novembre 2011

Bernanos

A l'invitation de l'Institut Supérieur de Théologie du Diocèse, où j'ai enseigné de nombreuses années, j'ai eu la joie de prononcer ce soir une conférence sur Georges Bernanos (1888-1948) et, plus précisément, sur "le Jésus de Bernanos". Il s'agissait d'évoquer quelle était, d'après ses textes, la figure du Christ pour le grand écrivain qui n'a pas eu le temps de rédiger la "Vie de Jésus" qu'il projetait.
Je suis toujours heureux de (re)parler de Bernanos, parce qu'il a été un exemple d'homme libre, de chrétien critique et à la fois engagé dans son temps et dans son Eglise. Je suis en particulier toujours admiratif devant son refus réitéré des honneurs (ministère, Légion d'Honneur, Académie Française, etc.), précisément pour ne pas être ligoté par eux. Quelle sagesse!
En son temps, le grand théologien Hans Urs von Balthasar avait écrit un essai intitulé Le chrétien Bernanos (réédité chez Parole et Silence en 2004) et, en effet, l'auteur du Journal d'un curé de campagne est un exemple de chrétien, par sa droiture, par sa vie tout entière, par son refus des compromissions avec les complaisances et les hypocrisies de l'institution.
Au retour, je me disais qu'il y a toujours du bonheur à se replonger au coeur de pages qui vous ont un jour délié, fait grandir dans la foi elle-même. Signe que c'est un auteur qui traverse(ra) les modes, même si, comme tous les grands écrivains, il passe ces années-ci par quelque "purgatoire"...

Equipe d'Animation Pastorale

Dimanche dernier 13 novembre, nous avons eu la joie de recevoir notre évêque qui a envoyé en mission l'Equipe d'Animation Pastorale (EAP) constituée pour l'Unité Pastorale Enghien-Silly. Un moment de belle célébration avec une communauté nombreuse. Un moment de fête qui signale tout de même un tournant dans l'histoire de ce doyenné : désormais, voici une paroisse nouvelle qui est constituée, sans que soient négligées les communautés originelles qui la composent, mais avec le projet de mettre ensemble leurs forces, leurs initiatives, leurs biens aussi, aux fins de devenir davantage "sacrement" du Christ, signe efficace et effectif de sa Présence réelle parmi nous.
Je sens l'enthousiasme des membres de cette EAP, je les remercie de tout coeur pour le service qu'ils acceptent de rendre - et qui s'ajoute souvent à une charge professionnelle et/ou familiale déjà conséquente.
Je suis vraiment heureux et fier de voir des chrétiens soucieux de répondre ainsi à leur vocation baptismale, et soutenus par une communauté soudée.
De tout coeur, je les remercie!

jeudi 10 novembre 2011

Où donc est la joie?

Jours de deuils amoncelés, ces temps-ci. Ce matin, funérailles dans une paroisse d'Enghien d'un Monsieur très bien, très droit, très souffrant... qui a choisi de partir plus vite que prévu. Drame pour les siens, qui l'aimaient de tout coeur et le soutenaient, dans une vraie prise en charge quotidienne. Que dire à cela, mon Dieu, que dire, sinon que l'Amour de Dieu est plus fort que tout et que nul être humain jamais, ne peut en juger un autre!
Cet après-midi, sur mes "terres natales", funérailles d'un de mes oncles - à vrai dire, le dernier qui me restait, un petit frère de ma maman (84 ans, tout de même). Me (nous) reste, après lui, sa soeur aînée, ma tante de 90 ans. Mort brutale là encore, parce qu'inattendue (il est, comme on dit, "tombé mort" lundi matin). Célébration paisible, dans le beau soleil d'automne, au milieu de la petite église de Vergnies (qui connaît Vergnies? Cent habitants! Mais... Le village natal du musicien Gossec), beaucoup de monde, beaucoup de paysans et de fermiers, comme lui attachés à leur terre, à ces valeurs ancestrales qui se retrouvent parmi mes cousin(e)s et auxquelles, bien entendu, je suis sensible. Je n'ai pas beaucoup trait les vaches, mais je crois que je comprendrai toujours les paysans, mieux que n'importe qui, mieux que n'importe quel artistocrate ou n'importe quel bourgeois.Les paysans savent le rythme de la terre, la lenteur nécessaire, ils ont pour eux la rouerie des saisons qui se moquent de nos humeurs et quelquefois empêchent notre belle civilisation de rouler (un coup de gel? bing! C'est le trafic bloqué!) Mon oncle avait cette lenteur et cette sagesse, finaud et déjà revenu de tout.
Et puis, à peine le temps de dire au revoir à mes cousins, l'annonce qu'un autre ami est mourant, de mon village lui aussi. Passer à l'hôpital, voir la famille rassemblée, prier, conférer l'onction sainte des malades, dire à sa femme, à ses enfants, qu'il ne faut pas s'effrayer devant une vie bien remplie et qui s'en va...
Que de deuils, et on en annonce encore!
Où est la joie?
Elle ne sera donc pas dans l'absence ou le refus du deuil, mais dans sa traversée.
Elle sera dans les moments volés à la mort, cette protestation de la vie, ma cousine qui m'offre à midi, entre deux enterrements, de partager sa soupe et sa ratatouille de poireaux, ma tante de 90 ans qui me dit en m'embrassant : "Tu viendras manger des pommes, hein, des pommes au lard!" Bien sûr, ma chère tante, que j'irai, et plutôt deux fois qu'une, et nous protesterons ensemble contre la mort, parce que nous croyons en la vie, en la vie éternelle, certes, mais qui s'incarne déjà dans les bonheurs partagés de cette vie-ci.
Et je prendrai encore quelques kilos.
Tant pis! Ca le vaut bien...

vendredi 4 novembre 2011

Dieu est-il religieux?

Je sors d'un colloque de théologie organisé par le département de dogmatique de la Faculté de Théologie de l'UCL, et dont j'étais l'un des co-présidents : "Dieu au risque de la religion".
Le sujet d'étude : le christianisme apparaît, dans l'histoire, comme une critique vive de la religion (critique du Temple, de la Loi) qui conduit à la mise à mort de Jésus. Pourtant, cette "bonne nouvelle" est portée jusqu'à nous dans des formes religieuses ("le christianisme", précisément, avec sa doctrine, ses lois, ses règles, son culte, etc.) Dieu, quand il veut se dire, serait-il donc nécessairement prisonnier des formes religieuses? Court-il le risque de la religion (dont on sait combien elle peut être, et quelle qu'elle soit, porteuse de violence et de division, selon qu'on l'interprète - voir des notes ci-dessous dans ce blog)?
Deux journées fécondes, des interventions riches : l'histoire, la sociologie, la philosophie, la philologie, la littérature, la théologie bien entendu, ont été convoquées pour expliciter le propos et la question.
Remarquables interventions, entre autres, de mon collègue le Professeur Benoît Bourgine (théologie dogmatique), du grand Professeur Elie Barnavi (Tel-Aviv, sur les implications violentes des religions dans le monde), de mon ami l'écrivain et critique René de Ceccatty ("Le Monde", "Le Seuil", sur la médiation de la littérature dans cette histoire).
Il faut vraiment de temps en temps faire des cures de théologie...

mercredi 2 novembre 2011

Jour des morts

La grande question de la vie, c'est la mort.
Une question que l'on refoule, certes - et sans doute de façon, pour une part, nécessaire : pourrions-nous vivre vraiment en songeant toujours à la mort?
Pourtant, nous le savons de façon plus ou moins explicite, la mort nous attend. Elle est du reste une nécessité biologique : où mettrait-on tout le monde, si on ne mourait pas? La mort des individus n'est-elle pas la garantie de survie de l'espèce? En même temps, comme chaque individu (humain, du moins) se sait unique... la mort lui apparaît aussi comme un scandale. Comment pourrait disparaître à jamais celui (celle) qui n'exista, dans toutes l'histoire de l'humanité, que "tiré à un seul exemplaire"?
En gros, deux solutions apportées par la philosophie : le matérialisme (tout n'est que matière, la pensée elle-même n'est que produit d'un cerveau matériel, et à la mort tout est dissous : Epicure, Lucrèce, aujourd'hui Comte-Sponville ou Onfray et bien sûr nos ulbistes); le spiritualisme (quelque chose survit. Question : quoi? Seulement l'âme, principe immortel qui abandonne le corps, comme le pensent les platoniciens dualistes? Ou la personne entière, corps et âme, quelles que soient les transformations inévitables du corps et de l'âme, comme le pense l'anthropologie juive et, à sa suite, chrétienne, en parlant de "résurrection de la chair" avec le Christ?)
A mes yeux, la position chrétienne - cela n'étonnera personne - est la plus cohérente.
D'abord, parce que je crois que le matérialisme est trop court : s'il y a en l'homme une aspiration à la vie éternelle, c'est que la vie éternelle est faite pour lui ("L'homme passe infiniment l'homme", comme disait Pascal). Et la survie sous le mode du seul souvenir que nos descendants (si l'on en a...) garderont de nous... cela ne va pas loin!
Si donc il y a une vie éternelle, alors elle ne peut que concerner la personne tout entière, coeur, corps, âme, esprit, à jamais indissociables. C'est bien ainsi que le Christ ressuscité nous apparaît, lui, "le premier-né des morts", à la fois dans une grande continuité avec sa personne terrestre, et désormais revenu du tombeau, le Vivant à jamais.
Nous sommes appelés à cette Vie.
Nos morts déjà la connaissent, et nous aussi, lorsque nous prenons conscience de leur présence dans la communion des saints.