jeudi 11 septembre 2014

De deux livres étonnants...

J'ai nourri les temps plus souples des "vacances" de deux livres importants - en tous les cas, en volume! D'abord, la belle réédition du roman  de Joseph Malègue, Augustin ou le Maître est là (Cerf, 832p.), un texte paru pour la première fois en 1933 et qu'on a eu l'excellente idée de réimprimer. Augustin, jeune homme né dans une famille catholique moyenne, devient à Paris un universitaire brillant, confronté à ce que l'on nomme "la crise moderniste" (une crise d'interprétation et de critique historique des sources chrétiennes). Il y "perd" la foi, ou du moins la relativise, connaît des émois amoureux qui n'aboutiront pas - il meurt jeune, fauché par la tuberculose, mais réconcilié et en paix avec le christianisme. C'est un texte puissant - dont notre ami José Fontaine, paroissien de Graty, est un spécialiste depuis longtemps : il est l'auteur, sur Wikipédia, des notices remarquables concernant et Malègue et son roman. Pourquoi, un texte puissant? Parce qu'il pose la question de la foi, de ses allers et retours, de sa rencontre inévitable avec la critique intellectuelle, des sentiments troubles ou troublés qu'elle peut engendrer et contrarier, etc., etc.
Quatre-vingts ans plus tard, Emmanuel Carrère, célèbre écrivain français, publie l'autre texte dont j'ai voulu nourrir mes "vacances" : Le Royaume (P.O.L., 630p.) Avec le talent qu'on lui connaît, il brosse le tableau - et vraiment comme un peintre, à larges traits enlevés, précis, fulgurants - des premières années chrétiennes et relit avec nous les textes fondateurs du christianisme (les Actes des Apôtres, l'Evangile de Luc - il a pour Luc une affection toute spéciale - , les autres synoptiques, les textes johanniques, l'épître de Jacques, etc.) aux fins d'y déceler l'histoire, faite d'affrontements et d'incompréhensions, de rivalités autant que de fraternité, de ce qui est devenu l'Eglise chrétienne. C'est (à part quelques imprécisions ou erreurs mineures) impressionnant de justesse, de clairvoyance, et finalement d'empathie pour ces personnages qui ont "fait" notre foi, même si Carrère lui-même écrit aussi, dans les marges, sa propre histoire, sa propre relation à cette foi, plus distante aujourd'hui qu'hier, plus réservée - mais on le sent tout de même empli de la nostalgie de croire. Je connais Emmanuel Carrère (nous nous sommes vus en juillet dernier précisément pendant que je prenais, alors vraiment, un temps de vacances et avions déjà évoqué ce texte qu'il a eu la gentillesse de m'envoyer lors de sa parution la semaine dernière.) J'aime beaucoup ce qu'il fait et la modernité de son écriture, un style très cinématographique. Son livre est une réussite - à tous égards, du reste : il est (allez savoir pourquoi), l'un des best-sellers de la rentrée! Je suis surpris qu'on s'arrache en France un texte de plus de six cents pages qui raconte l'histoire de la composition du Nouveau Testament!

On se ré-intéresse donc au christianisme,  à ses sources, à la critique de celles-ci, à leur récriture, à l'adhésion que, deux mille ans après, il est raisonnable d'avoir encore à leur endroit, au choix de la foi, à l'agacement devant la réalité de l'Eglise et à l'étonnement devant son mystère. On le fait sous des formes littéraires redécouvertes, republiées ou franchement contemporaines. Dans un cas comme dans l'autre, cela dit quelque chose de la pertinence chrétienne aujourd'hui, en Occident du Nord, en Europe du Nord, chez nous, quelque chose d'un besoin de savoir, de comprendre, et peut-être de s'abandonner à une conception de Dieu, de l'homme et du monde, porteuse de bonheur.

Car dans les deux cas, Malègue ou Carrère, je tiens que la motivation de leur travail est la quête de la joie spirituelle, de la joie "imprenable". Et n'est-ce pas cette joie qui, si souvent, fait défaut?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire