jeudi 25 septembre 2014

Prière, précarité

Relisant hier soir Gesché, je suis frappé par l'une de ses notes où il signale la filiation étymologique entre "prière" et "précarité". Je veux y revenir ce matin, non sans avoir - habitus philologique oblige - vérifié la chose dans mon vieux "Gaffiot"(le meilleur dictionnaire du latin classique). Comme toujours, Gesché a raison : precari, le verbe latin, a donné "prier" et l'adjectif latin qui en est issu, precarius, a donné "précaire" dont la première signification est "obtenu par la prière".
Ma méditation de ce matin a tourné là autour.
C'est donc la précarité qui nous fait prier, la nôtre, certes, mais aussi celle du monde. Avant d'être une plainte face au caractère éphémère de toute chose, la prière est d'abord un émerveillement : tout ce qui enchante ma vue, la beauté des dernières roses de mon jardin ou l'agencement du monde derrière lequel je suppose sans la voir une infinité d'univers inconnus, tout cela est aussi "pour moi", pour mes yeux provisoires. Il y a dans cette rencontre entre deux précarités - la mienne, celle du monde - de quoi frémir de bonheur, puisque cet univers n'est pas seulement là pour lui mais, au moins dans ce moment de méditation, "pour moi" et "pour nous". Avant tout engagement éthique à le défendre, à prolonger l'éphémère, on est en effet dans ce que la prière nomme "l'action de grâce", une gratitude pour le don "gratuit" de la beauté.
D'autres fois, cette précarité - la mienne, celle des autres hommes, celle de mes proches, celle du monde - fait mal, et suscite autrement la prière : elle est à l'origine d'un scandale : pourquoi faut-il que tout finisse sur cette terre, la vie des hommes et celle des bêtes (le chagrin d'Yvette, hier, une dame âgée, amie, voisine, qui a perdu son petit chien) que nous aimons? Pourquoi la mort, et ses cortèges endeuillés? Pourquoi les traversées douloureuses de la maladie, de la contradiction, de la mésentente, de la guerre, de la haine? Pourquoi les catastrophes et les calamités? La précarité ici, nous conduit de l'émerveillement à l'interrogation et à la supplique - et c'est encore de la prière.
Il faut bénir la fugacité de tout, qui s'en va - parce ce que c'est en effet le lieu de la méditation intérieure, le lieu où l'on ramasse son action de grâce et sa désolation, le lieu où l'on prie. Et, parmi toutes les activités qui le constituent aussi comme être humain, l'homme est, ici-bas, et parce qu'il est précaire,  fait pour prier.

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