mercredi 31 décembre 2014

Rendez-vous avec Janus!

Les Romains n'étaient pas si bêtes. Dans leur "panthéon supérieur", ils vénéraient Janus, dieu au deux visages, l'un tourné vers le passé, l'autre, vers l'avenir. Comment ne pas tenter ce double mouvement, en cette fin d'année? Regarder le passé, sans nostalgie, et espérer en l'avenir, sans outrance. Car la nostalgie ne nous permettrait pas d'évaluer avec reconnaissance ce qui fut bon, dans les brisures des mois écoulés, et l'outrance nous conduirait à des espérances déraisonnables. Janus, donc, dieu de l'évaluation sereine, dieu de la porte et dieu des clés, qui permet de refermer doucement un laps de temps passé, comme sans la claquer on referme une porte, en rendant grâce, en demandant pardon pour ce qu'on y a commis de mal; dieu qui ouvre une autre porte, pleine de promesses et de renouveau toujours possible, où l'on va doucement s'avancer, à tâtons, pour ne rien déranger, ne rien briser des trésors qui nous sont offerts.
Janus, dieu dont les Musées du Vatican nous montrent une magnifique tête sculptée, une tête double de sage barbu qui regarde des deux côtés de la vie...
Janus, qui a donné son nom au mois de Janvier, et m'offre ce soir l'occasion de dire à tous : "Bon premier Janvier! Et, dans la foulée, bonne et sainte année!"

mercredi 24 décembre 2014

Heureux et saint Noël à tous!

En notre cœur s'était perdu
le souvenir de ton Visage.
Sur nos faces ne brillait plus
ton Image.
Isolés, sans nul appui
pour chercher la ressemblance,
nous errions dans la nuit.

Tu envoyas dans ta pitié
pour éclairer notre détresse
tes prophètes, qui ont livré
la Promesse.
Leur parole, telle un feu
sur la route d'espérance
nous guida vers ton lieu.

Voici : la Vierge a enfanté
et les oracles s'accomplissent.
Ton amour et ta vérité

resplendissent.
Sous le voile de la chair,
ta lumière inaccessible
envahit notre hiver.

Tous n'ont pas vu. Nous qui croyons,
illuminés par ton mystère,
en ton Verbe nous te nommons
Notre Père.
Aujourd'hui finis les pleurs!
Ta semence incorruptible
a germé dans nos cœurs.

(Hymne de Noël de la Commission Cistercienne Francophone)

Heureuse et sainte fête de la Nativité à tous!

mardi 23 décembre 2014

Le discours du pape à la Curie

Les médias se font largement l'écho du discours du pape à la Curie romaine - des vœux, véritables, mais formulés sous le mode de quinze reproches adressés aux principaux collaborateurs du Saint Père. Formulés, ajouterai-je, de façon rude, sans concession.
Le pape est dans son rôle de pasteur et de guide spirituel, conseillant à chacun de retourner à son cœur profond et de l'examiner pour vivre un Noël véritablement "saint".
Il serait facile de se gausser, en pointant "les autres" du doigt - ce serait une manière de se sentir personnellement à l'abri  de tout reproche.
Je crois qu'il y a une seule façon sérieuse d'entendre l'énoncé de ces quinze "maladies" de l'âme : le prendre pour soi.

vendredi 19 décembre 2014

La thèse d'Anne-Sophie

Retour de Louvain-La-Neuve, où j'ai assisté à la soutenance publique de la thèse en Histoire d'Anne-Sophie, paroissienne, fille et petite-fille de paroissiens. Brillant moment, d'abord : la thèse, joliment intitulée "Le pouvoir de l'absent", et qui énonce comme suit son sujet : "Les avatars du communisme au Congo (1920-1961)" a été présentée avec brio par la candidate et reçue dans l'enthousiasme par le Jury. Si j'ai bien compris, après des années d'investigations (particulièrement de décryptage d'archives), Anne-Sophie pense que le communisme, au Congo, dans les années qu'elle décrit, a moins existé comme un fait que comme une crainte - une crainte qui a cependant motivé des politiques et des pressions de toutes sortes. J'ai été vraiment heureux de pouvoir participer à cette démonstration d'intelligence et d'élégance de la pensée, et je me disais en revenant combien la quête de la vérité, en tous domaines - ici l'Histoire - honore ceux et celles qui y consacrent leur vie. C'est une recherche  difficile et patiente, peu ou mal rétribuée, mais qui est d'une importance capitale pour nous dégager  des a priori, des idées toutes faites, des simplismes si souvent répandus partout. Et puis, le moment n'était pas seulement brillant, il était aussi émouvant : j'ai vu le grand-père d'Anne-Sophie essuyer une larme (ou deux) lorsque le Président du Jury a proclamé "docteur" et "avec les félicitations" la candidate qui nous a tous éblouis cet après-midi.
Grand moment, bravo, Anne-Sophie et joie aux tiens, comme à tous ceux qui t'ont épaulée  dans ce travail!

mardi 16 décembre 2014

Je songe aux enfants massacrés...

Plus d'une centaine d'enfants massacrés aujourd'hui au Pakistan, "au nom de Dieu"!
Je pense à eux, certes, au drame effroyable de ces vies brisées en plein élan par des fous.
Mais je pense à Dieu, surtout.
Quelle idolâtrie que de le mêler à cela, quel mésusage de son Nom, quelle méconnaissance de la foi.
Si jamais Dieu, notre Dieu, demandait un jour de pareilles horreurs - et quelquefois, dans une histoire chrétienne trop mêlée au pouvoir, on l'a cru, hélas! - alors, oui, il faudrait tuer ce Dieu-là.
La théologie, entre autres tâches, honore celle d'élever des remparts contre ces folies délirantes d'une foi qui s'égare et contredit son objet.
La tâche théologique n'a jamais été plus urgente...
On ne s'en sortira pas sans elle.

mercredi 10 décembre 2014

La tendre douleur de Lucas, Isoline et Sabrina

Stéphane avait quarante-quatre ans. Il s'est effondré, victime d'un malaise cardiaque massif. La famille - son épouse Sabrina, ses grands enfants Lucas et Isoline - sont remarquables de dignité dans leur peine. Bien sûr, doucement, Sabrina évoque la révolte devant le bonheur brisé : et si Dieu est, et s'il est "tout-puissant" comme on dit, pourquoi n'empêche-t-il pas ce mal, ce malheur? C'est, en effet, la seule vraie, la seule grande question qui porte à la fois sur Dieu et sur l'homme, et à laquelle la réponse n'est pas, ou du moins, pas seulement, dans des mots.
J'ai été frappé, ému, dans ce que me racontait cette famille, par le témoignage de Lucas : "Pour moi, papa était un modèle. Je faisais tout pour lui ressembler."
On ne saurait mieux exprimer la grandeur de l'amour filial...

Interprétation malveillante...

Beaucoup (trop) sollicité ces derniers jours au sujet du décès de la Reine, j'ai rapporté à un journaliste - à un seul - les propos volontairement outranciers par lesquels, sur le mode de l'humour, la Reine souhaitait exprimer son désir de funérailles simples. Le journaliste, me semblait-il, avait compris qu'il s'agissait en effet pour Elle d'une manière humoristique de s'exprimer. Je constate que, repris par certains médias peu scrupuleux ou en mal de titre, ce trait devient le prétexte à critiquer des funérailles qui seraient contraires à ses dernières volontés. Il est évident qu'il s'agissait seulement d'évoquer l'humilité de cette grande Dame, et que cela n'est nullement contradictoire, au contraire, avec la solennité de l'hommage qui lui est rendu, un hommage  parfaitement conforme à tout ce qu'Elle a été pour notre Pays.  Le reste est pure malveillance.

vendredi 5 décembre 2014

Rempli de tristesse, et de gratitude...

La Reine Fabiola est morte ce soir.
J'aurai été pendant de nombreuses  années l'un des confidents qu'elle souhaitait recevoir pour, comme elle le disait, "l'aider dans sa vie spirituelle" et, quelquefois, célébrer la messe avec elle.  Au début (peu de temps, à vrai dire) très impressionné de me retrouver là, au Stuyvenberg, un  château un peu triste, surtout dans ces périodes-ci de l'année, l'automne et l'hiver, un château empli de brumes, sombre, où il fallait toujours le secours de la lumière électrique. Depuis les fenêtres, on voyait dans le parc des lapins gambader en grand nombre : décor surréaliste...
Le scénario était souvent le même :  je me rendais d'emblée à la "chapelle" - un petit salon aménagé -, j'attendais la Reine. Elle arrivait, les derniers temps accompagnée d'une infirmière qui l'installait, avec des tas de précautions, dans un divan bourré de coussins. Elle me demandait de m'asseoir près d'elle, et c'était la première conversation de la rencontre, où elle faisait le point avec moi. Il n'a pratiquement jamais été question de politique. Mais de tout le reste, oui.  De sa famille, de ses amis, des malades, beaucoup, des gens fragiles dont elle avait entendu parler. D'elle-même, qui, avec les années,  devenait fragile, préparait sa mort. Puis je commençais la messe, et j'avais coutume de dire que c'était une "concélébration" : elle m'interrompait, elle commentait les lectures - tant qu'elle a pu, elle a prononcé elle-même la première lecture - et pratiquement elle faisait l'homélie. Nous nous tenions la main pour le "Notre Père". Et, tant qu'elle a pu aussi, elle "faisait la sacristine", comme elle disait, éteignant les lumières et rangeant les objets du culte après la messe...
Puis nous passions à table pour un autre long moment de dialogue.
J'ai l'impression ce soir d'avoir emmagasiné des tonnes et des tonnes de confidences,  de lectures, de points de vue, de contradictions, aussi, de pensées qui se cherchent ou qui s'affirment, de réflexions sur la beauté, sur la musique, sur l'amour, sur la vie éternelle, sur la pauvreté du monde, sur la fragilité intérieure... Je n'ai jamais pris de notes. De toute façon, de ce trésor partagé, rien ne pourra jamais être dit, non pas à cause du "secret de la confession" - ce n'étaient pas des confessions sacramentelles -, mais parce que doivent prévaloir la pudeur des sentiments et la nécessité de la discrétion.
Il y a quelques mois, je l'ai ointe de l'onction sainte des malades, parce que je la trouvais très mal ces jours-là. Mon émotion lorsque j'ai imposé les mains sur ces cheveux de légende et que je l'ai tutoyée pour la première et dernière fois - étrange et magnifique privilège : "Fabiola, par cette onction sainte, que le Seigneur, dans sa grande bonté, te réconforte par la grâce du Saint Esprit. Ainsi, t'ayant libérée de tout péché, qu'il te sauve, et te relève!" C'était... la Reine, la Reine de mon enfance, de ma jeunesse, et je n'ai toujours pas compris pourquoi j'avais été admis dans l'intimité de ses confidences. Quand je l'ai quittée ce jour-là - et cela,  c'est un secret partageable! - elle m'a embrassé les mains en me disant : "Merci aux mains qui ont fait cela pour moi!"
Notre dernière conversation, téléphonique, a été brève : elle était trop faible pour parler et m'a assez vite passé son infirmière.
Ce soir, déjà, des gens de la presse m'ont appelé - je ne sais pas comment ils ont mon numéro, j'ai seulement dit tout ce que tout le monde dit. Qu'une grande dame a déposé le fardeau de ses jours terrestres et rejoint l'éternité où elle vivait déjà en prière.
Elle avait fait beaucoup de projets pour ses funérailles, m'avait confié beaucoup de "dernières volontés", dont je suis persuadé qu'aucune n'aboutira - je le lui disais et répétais chaque fois : le protocole est une machine terrible, un rouleau compresseur qui lissera tout et, probablement, n'autorisera aucune fantaisie comme elle l'aurait rêvé. C'est très bien ainsi : il lui fallait encore ce dépouillement. "Regardez, moi qui ai été la Reine, je ne suis plus qu'une croûte, une vieille croûte", répétait-elle en riant. Et elle ajoutait : "Mais la croûte a fait son travail, et elle s'en va rejoindre son amour."

Oh oui, le travail a été fait, Madame, et avec quelle élégance!

Sit tibi terra levis, Fabiola. "Fabiola, que la terre, cette terre de Belgique que tu as épousée et aimée, soit maintenant sur toi légère, infiniment."