jeudi 8 janvier 2015

Sur l'attentat de Paris...

Il faudra probablement encore beaucoup de temps pour que se décante l'événement tragique qui a frappé hier la capitale française, et que l'on puisse plus sereinement passer de l'émotion à la réflexion. Dès à présent, plusieurs composantes de ce drame me semblent apparaître, que je vous livre "en vrac".
1° La liberté d'expression, et en particulier la liberté de la presse, est une et indivisible, et ne saurait être remise en cause par rien. Elle est le signe des autres libertés fondamentales d'une démocratie. Vouloir y attenter, c'est attenter aux sources mêmes de nos convictions communes, de ce qui fonde notre vivre ensemble.
2° Ce n'est pas pour cela que tout ce qui se publie est exact ou de bon goût - et "Charlie Hebdo" n'a pas toujours fait dans la dentelle! Mais la liberté de la presse a ceci de particulier qu'elle permet précisément de rétorquer par la presse, plume contre plume, texte contre texte, dessin contre dessin. Utiliser d'autres moyens pour contrer la libre expression (l'appareil d'Etat, la violence meurtrière étalée hier, ou simplement la pression, le chantage, etc.), c'est, encore une fois, saper les fondements de la démocratie.
3° La liberté de la presse s'applique aussi à la sphère religieuse de la société, quelle que soit la religion considérée : tout le monde a le droit de tout contester de ce que disent les religions, et tout le monde a le droit de s'en moquer - sachant que les religions ont aussi le droit de contester ceux qui se moquent, et de s'en moquer. La religion, dans nos sociétés, est un champ ouvert, comme les autres, au débat.
4° La qualité d'une démocratie s'évalue à la qualité de ce débat : profondeur et justesse de ses arguments, respect des interlocuteurs, etc. On peut penser, à de certains moments, que la grande presse (écrite et télévisée) ou les réseaux sociaux ne sont pas toujours très relevés ou très nuancés  et que, quelquefois, ils entretiennent même une certaine médiocrité de la pensée. A chacun de corriger cela dans ses prises de parole ou de position...
5° Reste une question, difficile : une société peut-elle évacuer le sacré, ou, pour être plus précis, la sacralité du sacré? C'est, d'après les anthropologues, une chose impossible. Il faudrait relire ce qu'écrivait là-dessus le philosophe (et aujourd'hui académicien) René Girard dans les années septante (par exemple, dans La violence et le sacré) : les rapports humains sont fondés sur le dépassement d'une violence mimétique qui trouve un exutoire dans un objet sacrificiel - qui "fabrique du sacré", pour le dire autrement. Il y a donc un lien inévitable entre le sacré et la violence (des attentats, des réactions, etc.) Ne l'a-t-on pas vu hier? On n'en finira pas, sans aucun doute, de dénouer les motivations socio-culturelles complexes des jeunes gens de chez nous partis s'entraîner pour le Djihad au Proche-Orient et revenus ici pour terroriser les populations - ils sont probablement les révélateurs d'un malaise sociétal profond et durable, versant noir d'un consumérisme proposé comme bonheur unique à des enfants qui veulent autre chose. Mais ce qu'écrivait Girard il y a quarante ans n'a, semble-t-il, pas vieilli...
6° Les religions sont-elles en cause? En tant que lieux institutionnels du sacré, oui, bien sûr. Il leur appartient d'affiner leur présentation d'elles-mêmes auprès de leurs adeptes en creusant de façon critique les sources de leurs "révélations" (cela s'appelle la théologie). Il leur faut apprendre à dialoguer davantage entre elles et avec les cultures où elles existent, pour qu'elles trouvent et retrouvent sans cesse ainsi la source libératrice de leur message - qui, sans cela, risque toujours de virer à l'arrogance, au mépris de l'autre, à l'idée erronée que la "révélation" est une vérité "détenue" contre des ignorants. Ce n'est certainement pas en éliminant les débats sur la religion (par exemple à l'école) que l'on ira dans le bon sens...

Bref, du pain sur la planche pour les acteurs de la société, à tous les niveaux!

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