jeudi 12 février 2015

L'Eglise et la culpabilité

Reçu, cet après-midi, des paroissiens dont l'un surtout, plus âgé, me dit avec force, presqu'avec violence, combien l'Eglise Catholique de son enfance et de sa jeunesse a exacerbé en lui le sens morbide de la culpabilité. Ce n'est pas, malheureusement, la première fois que j'entends ce discours, que je ne peux qu'écouter : oui, la prédication et la catéchèse ont été souvent, et quelquefois restent encore, bien malhabiles, moralisatrices, et j'ose même dire : perverses par rapport au message de libération que l'Evangile apporte.
Il est un adage scolastique qui trouve ici sa pleine application : corruptio optimi pessima, "la pire perversion (corruption) est celle du meilleur." C'est vrai de la gastronomie : laisser se gâter une piquette, une vinasse "issue de différents cépages de l'Union Européenne", ce n'est pas grave : c'était déjà de la piquette au départ! Mais si, par faute de soins, on laisse se gâter un magnifique Petrus, c'est abominable! Or, le christianisme, c'est encore bien mieux qu'un magnifique Petrus : c'est "le meilleur", cela j'en suis convaincu. Et donc, sa corruption en moralisme accablant est la pire chose qui soit, et elle laisse des traces durables, profondes, blessantes.
Par hasard ou par grâce, je n'en sais rien, j'ai moi-même, me semble-t-il, échappé à une pareille présentation pervertie du christianisme. Sincèrement, si je me rappelle mon enfance, je n'ai jamais eu l'impression que la foi chrétienne me culpabilisât : le curé de mon village était un homme délicieux et libre, ma vie au Collège - en internat, pourtant - fut bienheureuse et joyeuse, mes parents vivaient leur foi d'une façon très sincère et très libérale en même temps, et j'oserais dire qu'ils ne "soupçonnaient jamais le mal", ou du moins alors qu'ils le cachaient bien. Bref, je n'ai jamais rien ressenti de pesant dans cette foi, sinon, vu mon tempérament, je l'eusse envoyée au diable (c'est le cas de le dire.) J'ai très tôt connu des contradicteurs, des libre-penseurs, des athées - ils venaient à la maison, nous nous aimions - et j'ai toujours eu le goût de la discussion que mon père cultivait beaucoup. J'ai gardé ce goût en théologie - on appelle cela, alors, mais il faut donner  au terme sa modeste mesure, la disputatio, la "dispute", la palabre, argument contre argument. J'essaie de respecter toujours les appartenances des personnes, car ces appartenances à mes yeux comptent beaucoup moins que leur qualité, précisément, de personnes, dont je suis persuadé qu'elles ont toutes et chacune quelque chose à m'apporter.
Donc, je n'ai pas eu la même expérience. Et je souffre de la souffrance de ceux qui ont été pareillement meurtris.
Comment faire?
Ecouter, sans doute.
Reconstruire le dialogue interrompu par les raccourcis fanatiques et stupides du passé ou du présent.
Parler, parler encore.
Rendre compte, sans doute aussi, de sa propre foi, de la libération intérieure et extérieure qu'on y trouve, comme et après des générations et des générations de grands témoins qui ont marqué l'humanité par leur appartenance chrétienne et l'œuvre qu'ils en ont tirée : j'ai évoqué cet après-midi, avec mes interlocuteurs, Thérèse d'Avila, mais on pourrait citer : Paul, Augustin, François d'Assise,  Vincent de Paul, Thérèse de Lisieux, Pascal,  Claudel et Bernanos, Péguy et Marie Noël, et tant et tant d'autres, anonymes ou connus, canonisés ou non.
Cela dit, rien ne refermera jamais la blessure de cette corruptio pessima...
Et dès lors, il faut aussi mettre en garde tous ceux qui, par vocation, par métier ou par goût personnel, présentent la foi chrétienne (prêtres, catéchistes, etc.)  : qu'ils fassent attention à ce qu'ils en disent. Les dégâts  en effet peuvent être redoutables, quand on veut, par commodité sociale, réduire le message biblique et évangélique à une prescription rituelle ou morale.
Nous ne serons jamais trop sur nos gardes. C'est l'une des tâches de la prière - de l'oraison - que de purifier la source.

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