vendredi 20 mars 2015

"La pire épreuve qui puisse accabler un prêtre..."

Relisant Mauriac, ces mois-ci, je tombe, dans l'un de ses romans, La Pharisienne, sur cette description des sentiments d'un prêtre :
"A ce moment de son existence, il (le prêtre en question) fléchissait sous la pire épreuve qui pût accabler un prêtre : cette certitude que la masse des hommes n'ont pas besoin de lui et que ce n'est pas assez dire qu'ils se moquent du Royaume de Dieu : ils ne se doutent pas de ce qu'il est, et n'ont jamais été touchés par la bonne nouvelle. A leurs yeux, il existe une organisation des rites prévus pour certaines circonstances de la vie et dont le clergé a l'entreprise. Cela ne va pas au-delà. Que reste-t-il donc au prêtre, sinon de se replier sur soi, et de maintenir dans son propre cœur une flamme vacillante pour lui-même et pour un petit nombre d'âmes, jusqu'à ce qu'enfin se manifeste avec éclat la pensée de Dieu sur le monde?" (La Pharisienne, in Œuvres romanesques et théâtrales complètes, Gallimard, Pléiade, III, 1981, p. 838.)
Mauriac a raison de parler d'une épreuve, et je dirais même, pour ma part, que c'est une tentation. C'est bien le sentiment que l'on peut avoir de temps en temps, qui confine en effet à celui de l'inutilité alors même qu'on multiplie à l'excès les prestations et les présences. Bernanos, pour sa part, appelait cela le sentiment de l ' "A quoi bon?" Mais c'est une tentation à laquelle il faut, comme aux autres, résister - c'est du reste tout l'intérêt spirituel des tentations  : la façon dont, si j'ose dire, on les renifle, on les débusque, on les combat; et dans ce combat même, on cède sa place à Celui qui vient en nous pour vaincre toute forme de mort. Comme le note encore Mauriac avec la finesse qui le caractérise, le risque de cette tentation n'est pas tant le découragement que le repli sur soi, et l'enfermement dans une tour d'ivoire qui, non sans mépris, couperait du monde.
Or, pour lui porter la Bonne Nouvelle (et moi j'y mets une double majuscule), le prêtre - et les autres, du reste - doivent accueillir le monde tel qu'il est, et s'efforcer toujours d'en repérer la bonté foncière. Il y a tant et tant de refoulement, de blessures (et quelquefois infligées  par des prêtres, précisément), et aussi, tout au fond,  de vrai et grand désir, sous des carapaces d'indifférence.
Chaque matin, dès la prière, dès l'oraison silencieuse, demander d'être capable de ne pas juger autrui, mais de l'accueillir. Derrière des demandes banales, routinières, de sacrements, il y a quelquefois des élans insoupçonnés. Et s'il faut toujours rester dans la vérité (ce qui suppose certaines exigences, certaines mises au point), on ne manifeste jamais assez de respect...
Mauriac est grand, qui rappelle là, par le détour d'un personnage, un défi majeur de la vie chrétienne et de la vie "apostolique" (pas seulement celle du prêtre, mais celle de tout "agent pastoral" comme on dit aujourd'hui dans des termes effrayants de laideur!)

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