dimanche 17 mai 2015

"Qui est Charlie?"

Avec son livre récent Qui est Charlie? Sociologie d'une crise religieuse, Seuil, 252pp., 18 euros, le moins que l'on puisse dire est que le sociologue français Emmanuel Todd a jeté un pavé dans la mare. En parlant en effet des événements de janvier dernier en France, il n'hésite pas à les qualifier d' "hystérie collective", et il appuie sa démonstration sur ses compétences historiques et sociologiques (des compétences qui ne sont contestées par personne).
Résumons :
- la société française (on peut dire la même chose de la nôtre) n'a jamais été aussi déchristianisée que maintenant et ceux qu'il appelle les "chrétiens-zombies", c'est-à-dire des ex-chrétiens composant essentiellement les classes moyennes et politiques (plutôt du centre et de gauche) ont réagi comme un seul homme en prétendant défendre les "valeurs de la République", en réalité une situation de confort relatif - leur confort - dans un monde où des pans entiers se défont et s'écroulent;
- ces classes moyennes, pour se protéger, ont dressé l'un contre l'autre des segments sociaux : le monde prolétaire contre l'Islam; le monde musulman contre les Juifs, éternels boucs-émissaires, l'islamophobie des uns entraînant, en un inévitable ricochet, l'antisémitisme des autres.

     Vue sous cet angle, la démonstration est convaincante.

     Il est toujours intéressant d'avoir l'avis d'un excellent sociologue, et en particulier d'un sociologue des religions. Un sociologue n'est pas là pour émettre des jugements moraux, mais pour décrire un état de fait - un peu comme un entomologiste décrit l'évolution d'un nid de fourmis. Pour mon compte, je fais confiance à Todd, dont les compétences, je le répète, sont indiscutables. Mais j'ajoute que, s'il a raison (ce que je crois), cela entraîne un certain nombre de conséquences sur la façon dont le monde politique devrait lui aussi observer et gérer le phénomène religieux dans nos pays - et là, je n'ai pas l'impression, mais alors pas du tout, que nous y soyons. Nous restons dans une réactivité politique (politicienne?) émotionnelle, idéologique. Je veux dire : se contenter de reléguer, comme si c'était une solution d'évidence, la religion dans la sphère du privé, je l'ai déjà signalé ici, vraiment ce n'est pas sérieux : ce n'est pas digne de ce que l'on attend du monde politique et de la considération qu'il doit avoir pour cet aspect intrinsèquement humain et social que constitue la conviction religieuse. Celle-ci est évidemment d'ordre "personnel", mais - Todd le rappelle, après tant d'autres, avec clarté - nullement d'ordre "privé" : on n'a pas le droit de laisser s'installer une pareille confusion, sauf à courir le risque (et à faire courir le risque aux générations futures) de graves déflagrations.

     Et donc, remercions le sociologue pour son avertissement...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire