mercredi 26 août 2015

Sur l'oraison, encore, et la "présomption d'innocence"

A ce stade du descriptif de l'oraison, j'entends l'objection : "Mais de quoi nous parle-t-il? ce 'ruisseau d'infamie', ce genre d'expression, pour désigner quoi? Moi, je suis 'sain(e)', et non pas flétri(e) depuis toujours, mon enfance fut bonne, je n'ai pas de pensées criminelles, j'ai été bien élevé(e), qu'il pense cela pour lui s'il le veut, mais sans le projeter sur tous, etc."
C'est ce que j'appelle la "présomption d'innocence", important ce concept du droit dans la psychologie spirituelle : nous serions tous purs et béats, candides comme l'enfant qui vient de naître. Rousseau a repris cette idée que je ne partage pas, d'un être humain naturellement bon, mais devenu mauvais par la culture qui l'entoure. Moi, je suis plus enclin à penser, avec Augustin, à une forme de malice dont nous ne sommes évidemment pas coupables - mais quelquefois complices, à un entraînement du cœur humain vers la duplicité, à  ce que Mauriac un jour dans un formidable roman (noir) appela "Le nœud de vipères".
Et l'objection de l'innocence revendiquée me semble pire que tout : elle contribue à la dissimulation, à la non-vérité, au non-vouloir de la vérité, comme chez ces alcooliques qui nient jusqu'à l'absurde leur comportement ("Moi, boire, jamais!")
La vérité sur nous-mêmes n'est pas si belle que ça - elle n'est pas si laide, non plus.
Elle est, plus que la sincérité, une opération lente et nécessaire pour advenir à nous-mêmes, pour apprendre qui nous sommes, pour rendre grâce des dons et évaluer l'étendue des dégâts.
Sans cet exercice (cette "ascèse", dit le grec), pas de vie spirituelle possible. Pas de vie chrétienne possible - nous resterions toujours à l'extérieur de nous-mêmes, dans la représentation théâtrale de nous-mêmes, dans l'illusion d'être vraiment le personnage (le masque) que nous jouons à nous en faire crever.
Etre délivré des faux-semblants, c'est notre premier devoir. Et l'oraison - ou, mettons, simplement, la prière - nous en offre la faculté.
A un ami qui lui parlait de prière, quelqu'un - un intellectuel belge, réputé et en effet savant - répondit trop brusquement : "La prière est-elle exaucée?" Celle dont je parle l'est toujours.

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