dimanche 27 septembre 2015

Comment bien mourir?

Rencontré, aujourd'hui, une vieille amie - elle a quatre-vingt-six ans, et nous nous connaissons depuis longtemps, ce qui justifie à double titre cette qualification - à laquelle on a annoncé, voici quelques mois, un cancer incurable. Elle a du reste tourné le dos  à toute forme de soins invasifs, ne recourant plus qu'à l'homéopathie... Encore en bonne forme, quoiqu'amaigrie, elle a déjà fait appel aux soins palliatifs - dont elle n'a pour l'heure nul besoin, mais afin qu'ils se tiennent prêts le moment venu - et elle continue à vivre aussi pleinement que possible sa vie de femme aimant les beaux-arts et la musique, sa vie de mère et de grand-mère attentive aux siens, en particulier, donc,  à ses petits-enfants (elle en avait huit hier soir encore à sa table.)
Femme discrète, d'une humilité parfaite, elle dit que la vie l'a comblée - alors que d'autres souligneraient les épreuves qui n'ont pas manqué -  et qu'elle a tout ce qu'il faut pour "partir tranquille."
Pourtant, elle souhaitait me voir parce que... elle n'est pas si tranquille que ça.
Sa question était simple : "Comment faire pour mourir?"
Comme si j'avais la réponse, tiens!
Déjà, en parler comme nous l'avons fait, cet après-midi, de façon détendue et quelquefois rigolote - je lui ai rappelé la nécessité biologique de la mort, et d'une certaine manière son bienfait : imaginez ce qui se passerait si nous ne mourions pas, où mettrait-on tant de monde? On voit bien que la mort des individus est la garantie de survie de l'espèce... Oui, en parler comme cela, c'est déjà une sorte de réponse.
Pourtant, comme tout ce qui est important chez les êtres humains (la naissance, la souffrance, l'amour, la conjugalité...), cette réalité biologique ouvre aussi l'espace d'un mystère - et d'abord d'un scandale : chacun de nous est unique, et dans la mort s'efface apparemment cette unicité absolue.
Ne pas connaître le moment me semble aussi un test d'humanité : plutôt que de programmer sa mort par injection létale tel jour à telle heure, il y a la question de savoir comment vivre cette attente de l'inévitable - c'est inévitable pour tout le monde, mais ma chère vieille amie, elle, sait - les médecins le lui rappellent volontiers, ce pourquoi du reste elle ne les consulte plus guère - que, pour elle, cet inévitable est pour bientôt. Que faire du sursis?
Je crois, et voilà ce que je lui ai murmuré, du bout des lèvres : s'en fiche. Vivre chaque matin heureux de se réveiller vivant, et se coucher chaque soir dans l'action de grâce pour les instants traversés. Aimer ceux que l'on croise encore, leur donner tout, sans réserve, puisque la seule vie réussie est la vie donnée aux autres. Prier, non pas tant réciter des formules, mais jeter en Dieu, comme un petit enfant  peureux, ses plus grands moments d'angoisse.
Quel bonheur, cette rencontre qui était tellement pleine de vie, quelle joie dans nos embrassements...
Au retour, en voiture, je me disais que nous avions l'un et l'autre, longuement, respiré la saveur de l'existence humaine, son prix, son parfum d'éternité. Et que, ce que j'avais murmuré ainsi du bout des lèvres, je devais bien me le dire à moi-même : je serai - du reste, je le lui ai rappelé en riant, pendant que nous nous disions au revoir -  peut-être mort avant elle, qui sait?!
Il n'y a rien d'autre à vivre que l'instant présent. Est-elle de Thérèse de Lisieux, cette formule qui me revient en tête : "Tu le sais, Seigneur, que pour aimer, je n'ai que maintenant..."?

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