samedi 9 avril 2016

Jusqu'où conduit l'amitié pour Jésus...

Le texte que nous lisons ce dimanche (Jn 21, 1-20) est l'un des plus forts, des plus émouvants de tout le Nouveau Testament. Il comprend à la fois le récit de l'apparition du Ressuscité aux pêcheurs qui, de la nuit, n'ont rien pris et qui, sur son injonction, vont réaliser une capture surabondante, et la confession d'amour de Pierre, appelé par trois fois (comme il avait par trois fois renié) à déclarer son amour - son amitié - à Jésus.
Précisément, revenons-y : son amour, son amitié?
Les verbes grecs changent, dans le texte - la traduction française, quelle qu'elle soit, peut difficilement y rendre sensible.
Jésus demande d'abord à Pierre : "M'aimes-tu d'un amour d'agapè? M'aimes-tu jusqu'à donner ta vie pour moi? Et plus que ceux-ci?" (agapas me pleon toutôn;) L'agapè, c'est l'amour dont Dieu lui-même aime les hommes, un amour qui donne tout, ne retient rien. Le Ressuscité semble demander à Pierre si cet amour-là est présent en lui, et en lui plus que dans les autres disciples. Il reçoit une réponse qui peut paraître décevante : "Oui, Seigneur, toi tu sais que j'ai de l'amitié pour toi." (Nai, kyrie, sy oidas hoti philô se) Pierre n'utilise pas le même verbe, qui peut-être lui fait peur, mais tout de même il confesse son affection - humaine, celle-là - pour Jésus, pour le Ressuscité. La formule - et la différence des verbes - sera semblable dans la deuxième question. Mais, dans la troisième, Jésus lui-même adapte, en quelque sorte, sa demande : "Simon, fils de Jean, as-tu de l'amitié pour moi?" (Simôn Iôannou, phileis me;) Serait-ce que Jésus revoit, en quelque sorte, son ambition à la baisse? Ou, plus théologiquement, que le Ressuscité redevient l'Incarné : celui qui ne peut demander l'amour des hommes, sans passer par la demande de leur terrestre et humaine  affection?
Si Pierre, nous dit la suite du texte, n'a pas été peiné par les deux autres demandes, il l'est par celle-là : comment Jésus peut-il douter de son amitié?
Sur elle, le Ressuscité fonde deux choses incroyables :
- la responsabilité de toux ceux et de toutes celles qui, à travers l'Histoire, seront des disciples de Jésus : "Pais mes brebis, sois le pasteur."
- l'annonce que cette responsabilité se vivra dans le don de sa vie : "Tu iras où l'on te mènera, où tu n'aurais pas voulu aller." Et donc, tu seras conduit à vivre l'agapè, le don d'amour de toute ta vie. C'est jusque là que, toujours, conduit l'amitié avec moi, semble dire Jésus...

Pierre qui par trois fois avait renié le Jésus condamné, par trois fois confesse son amitié envers le Ressuscité, qui la lui demande et lui promet un amour encore plus grand, par delà les sentiments : l'amour du don de soi complet. Il n'y a dans ce dialogue qui clôt l'évangile de Jean aucun reproche du Ressuscité à l'encontre de celui qui a trahi. Il n'y a que la reconnaissance de la faiblesse passée et présente, qui s'assume - l'amitié, oui, le don complet, on verra! - et le partage de la promesse : l'agapè, c'est Dieu qui la donne, et lui seul.

Je frémis de joie en pensant que l'Eglise, et même l'Eglise institutionnelle - la "hiérarchie", comme on dit, si décriée, si difficile à recevoir, est fondée sur "ça", et sur rien d'autre. Si Jésus avait voulu instaurer une multinationale performante, genre "Coca-Cola", mettons la "Catholic Incorporated Company", il aurait chargé des "chasseurs de têtes" de trouver ingénieurs, spécialistes de la pub, communicants performants et tutti quanti pour fonder son affaire. Il s'est basé seulement sur la reconnaissance de la faiblesse, de l'amitié, et du don de l'amour, dans une négociation bien éloignée de celles de bureaux contemporains où l'on fabrique des managers.

Deux mille ans après, ça "marche" toujours. A condition que les principes de base restent les mêmes...

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