samedi 6 août 2016

"Il reviendra dans la gloire et son règne n'aura pas de fin..."

Très docilement, les paroissiens (d'Enghien et de Silly, en tous les cas), répètent dimanche après dimanche cette proposition du Symbole de foi, le "Credo" vénérable de Nicée-Constantinople qui, dès le IVème siècle, proclame à propos du Fils de Dieu, après avoir annoncé son incarnation en Jésus, sa mort et sa résurrection : "Il reviendra dans la gloire et son règne n'aura pas de fin."
Ils le répètent, probablement - et je suis souvent comme eux - sans bien saisir la portée de cette affirmation chrétienne sur Jésus, le Fils incarné.
Cette affirmation touche, en effet, à la considération du temps et de l'espace : ceux-ci finiront, le monde en expansion tel que nous l'entrevoyons grâce aux travaux des astrophysiciens (je dis bien "entrevoir", "connaître" serait pure prétention), ce monde, donc, ces infinités de galaxies, ces milliards de soleils surgissant puis mourant - notre soleil n'est que l'un d'entre eux, une étoile parmi tant et tant d'autres), ce monde un jour arrêtera son expansion, et ce sera le dernier jour du monde. Cela, même les savants contemporains en conviennent, d'accord là-dessus avec ce qu'annonce la foi. On ne dit pas que c'est pour demain. On dit : "Un jour, il n'y aura plus de jour. Il n'y aura plus de temps et d'espace - puisque le temps et l'espace, voir Einstein, sont liés à cette énergie expansive. Un jour, il n'y aura plus rien." Mais, pour les chrétiens, ce rien n'est pas rien, si j'ose dire : il correspond à une plénitude enfin survenue, celle du Royaume que Jésus a annoncé par sa parole et ses actes, sur cette petite boule, petite planète d'un petit soleil que nous nommons "la terre", à un moment précis du temps - il y a deux mille ans, un rien au regard de l'histoire du monde, et qu'il a annoncé à une espèce vivante de la terre en laquelle il s'était incarné : l'être humain, qui peut-être disparaîtra bientôt et sera remplacé par d'autres! Mais ce Royaume a été annoncé, mieux, il a été inauguré : il a commencé. Il est fait de quoi? De paix, de justice, de fraternité entre êtres humains, certes, mais aussi avec les autres espèces et avec le monde qui leur est commun. D'une préoccupation inlassable pour la faiblesse, pour le statut des faibles - alors que l'évolution créatrice, au contraire, les ignore et les méprise et ne semble parier que sur la force des plus forts.
Il est vertigineux d'imaginer un Dieu créateur - créateur de tous les Univers, de cette expansion incroyable et inconnue, préoccupé par la faiblesse des plus faibles. Au point de visiter sa création non dans la force et le déploiement de sa gloire, mais dans l'humilité d'un berceau, d'une crèche, et dans l'accueil du rejet qui conduit à l'infamie et à la mort. Au point de rejoindre ainsi, en un être humain donné du temps et de l'espace, toute faiblesse de tout l'espace et du temps tout entier. C'est ainsi que Dieu est "miséricorde", comme l'annonce le Jubilé que le pape a ouvert cette année dans l'Eglise catholique, il l'est "en lui-même", non comme une condescendance, mais parce que c'est son Etre.
Le Royaume a donc commencé, et la fin du "monde", c'est pour les chrétiens l'établissement définitif de ce Royaume : c'est le Christ revenant victorieux de toute injustice, relevant toute faiblesse, ressuscitant toute mort.
Deux tentations : prendre cela pour de la rêverie, se fier seulement à ce que l'on voit et touche, à l'ici et au maintenant, au sensible actuel, et mépriser comme du délire ces propositions saugrenues. C'est fréquent chez nous, et les chrétiens qui professent encore leur foi en ce domaine, si on les aime bien, on les prend pour de pauvres idiots qui auraient un peu fumé la moquette, quand même... Version plus hard : ces délires sont dangereux, ils empêchent de transformer de fond en comble l'ici et le maintenant, de faire régner - par force s'il le faut - le Royaume attendu par tous : supprimons ces débilités (communisme soviétique, par exemple, il n'y a pas si longtemps, avec les conséquences que nous savons.)
Seconde tentation, inverse mais en vérité complice : tout miser sur l'au-delà, et minimiser la nécessité de réformer l'ici-bas. "Vous êtes malheureux maintenant? Souriez! Vous serez d'autant plus heureux à la fin des temps!" Tu parles! On a assassiné - avec bénédiction d'ecclésiastiques, quelquefois - des milliers de pauvres gens en les enfumant de la sorte : oui, quelquefois, la tentation est celle d'user de cette espérance comme d'un "opium" engourdissant (Marx, dans la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel, et la stigmatisation de la religion comme "opium du peuple.")
Espérance, j'ai lâché le mot : elle est entre ces deux tentations. Voir l'horizon de la fin comme une promesse, et déjà comme une présence, celle du Christ qui nous intime l'ordre d'attendre en servant le monde et les autres. Car attendre, attendre activement, c'est servir.  La page d'évangile lue aujourd'hui et demain dans nos églises est tirée de saint Luc (Lc 12) : cet évangéliste, contrairement à Matthieu et Marc qui repoussent les propos de Jésus sur le monde à venir en finale de leur texte, disperse, lui, à trois moments de son récit, ces mêmes propos. Comme une manière de dire que la fin du temps et de l'espace, que le retour du Christ, que l'établissement du Royaume, ne cessent de se rappeler à nous à chaque "instant". Chaque instant du temps doit être préoccupé par la fin du temps : c'est l'urgence du service, du don, de l'empressement pour autrui qui est ainsi au cœur de la foi, qui est, si j'ose dire, l'espérance au cœur de la foi. Une espérance active, qui se donne de la peine, qui veut changer le monde mais sait que c'est le Christ, à la fin, à la fin de tout, qui changera, pour nous, avec nous - et jamais sans nous - le cours de la vie, l'injustice en justice et la haine en amour.
"Heureux ceux qu'à son retour, il trouvera en train de veiller : je vous le dis, il prendra lui-même alors la pose du serviteur, les fera passer à sa table, et les servira."
La messe est dite - l'Eucharistie, en effet, n'est pas autre chose!

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