samedi 28 janvier 2017

Mort de Myriam

J'apprends ce matin la mort - attendue - de Sœur Myriam, une religieuse carmélite que je connaissais et voyais pratiquement tous les mois depuis plus de quinze ans. Au milieu de beaucoup d'autres décès qui frappent en ce moment la communauté paroissiale d'Enghien-Silly, avec le départ de personnalités remarquables, celui de cette religieuse me peine particulièrement. J'aurai eu le privilège en effet de l'accompagner dans son itinéraire vers Dieu. On croit souvent que la vie contemplative est une vie facile, une vie tranquille parce que retirée du monde. Rien n'est plus faux. Ces femmes - ou ces hommes - qui ont choisi de consacrer tout à Dieu, de le chercher, lui avant tout, connaissent les affres terribles du doute, du manque, de la remise en question permanente de la foi, dans une brûlure d'autant plus vive qu'ils ont tout donné, tout risqué, pour cela même qui les tourmente. A l'extérieur : les récurrences d'une vie apparemment monotone. A l'intérieur : le feu. C'est que la vie religieuse, contemplative, n'est pas un long fleuve tranquille. Le monde qu'ils ont quitté, ces hommes et ces femmes l'ont au fond emporté avec eux, dans leur couvent. Ce que la plupart de nos contemporains pressentent sans avoir le temps ou les moyens de l'exprimer, ils le vivent : et c'est plus souvent l'absence de Dieu que sa présence. Je songe à leur propos au mot magnifique de la philosophe Simone Weil (dans La Pesanteur et la Grâce) : "Il faut vivre dans un désert. Car celui qu'il faut aimer est absent." Oui, il "faut" l'aimer : nos contemplatifs le savent bien, qu'ils ont été appelés à cela, pour cela, et qu'il n'y avait sans doute pas pour eux, étant sauve leur liberté, d'autre moyen de vivre, de vivre vraiment, que d'apprendre à aimer Dieu, "celui qu'il faut aimer." Et pourtant, très vite ils ont découvert que son absence au quotidien créait en eux un désert, une aridité où ne se manifestaient, de loin en loin, que quelques oasis. Dans ce désert était pour eux le lieu de la rencontre, de la communion invisible au désert de tant et tant d'autres, hommes et femmes anonymes, dont ils portaient ainsi le manque, le désir toujours inassouvi.
Et, en même temps, quelle admirable réalisation de soi - tout entière dans le don, dans l'apprentissage de cette humilité foncière qui est par delà l'éthique, qui est dans l'effacement et le retrait, dans le service de l'autre, dans la préoccupation quotidienne d'autrui et non de soi. Quelle humanité, mon Dieu, quel trésor d'humanité que cette humanité-là, ainsi traversée, ainsi vaincue, si j'ose dire.
Myriam, sous des dehors bien affirmés et réjouissants (elle était, pour l'extérieur, la joie de vivre) aura été la femme la plus humble que j'aie connue, le mystère humain le plus lumineux qu'il m'ait été donné d'approcher. Elle aurait rougi de ce que j'écris là, elle aurait protesté, aurait été confuse.
Mais quelquefois, il faut dire... la vérité. Oh, je ne la canonise pas, non, ce n'est ni mon rôle ni mon propos, mais je reste ébloui par la lumière intérieure - cette "obscure lumière", pour reprendre l'oxymore - qu'elle m'a fait l'honneur de partager si souvent. Et surtout si simplement, beaucoup plus simplement que ce que je viens d'en dire avec maladresse.
Qu'elle repose en Dieu, maintenant, puisqu'elle a passé ses jours et ses nuits à le chercher.

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