mardi 7 février 2017

L'abbé Mugnier

La petite grippe qui me tient cloîtré, crachotant et suant, me permet aussi de me replonger dans un vieux beau livre lu il y a cent ans : le Journal de l'abbé Mugnier. Etonnant bonhomme! L'abbé Arthur Mugnier  (1853-1944), prêtre du diocèse de Paris, fut vicaire dans diverses paroisses de la capitale française - dont Saint-Thomas-d'Aquin, où je fus moi-même "vicaire" pendant mon séjour parisien, entre 1984 et 1986, et je revois encore, dans la sacristie, la plaque de cuivre rappelant que là s'étaient rencontrés pour la première fois l'abbé Mugnier et l'écrivain Joris-Karl Huysmans. Il fut ensuite aumônier d'un couvent de religieuses, jusqu'à sa mort. Surtout, il fut, par les hasards de l'existence, projeté dans la vie intellectuelle et aristocratique du Paris de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Sans jamais être un "prêtre mondain", mais simplement parce qu'on l'avait adopté dans une série de milieux où d'autres ecclésiastiques n'auraient guère été admis, il rencontra  un grand nombre d'écrivains : Anna de Noailles, Marthe Bibesco, Jean Cocteau, Colette, Paul Claudel, François Mauriac,  entre des dizaines d'autres, et bien sûr ma chère Marie Noël pour laquelle il fut une providence. Il était lié d'amitié à Marcel Proust, et vint bénir son corps le lendemain de son décès.
Son Journal, donc, me ravit : tenu entre 1879 et 1944, il rapporte avec beaucoup de précision et de fraîcheur les dîners et conversations de cet homme avec l'intelligentsia parisienne de l'époque. Le tout est en même temps d'une vivacité d'esprit extraordinaire et d'une bonté remarquable. Il passe tout, à tout le monde - sauf à ses supérieurs ecclésiastiques, qu'il trouve pour la plupart stupides, bornés et complètement fermés à la vie intellectuelle. Homme de paix, il s'indigne de voir les évêques  bénir, de chaque côté - catholique - le conflit de 14-18, et, pour des raisons bassement nationales, refuser d'écouter les appels à la paix du pauvre pape Benoît XV. "Comment, dit-il, peut-on se dire chrétien quand le principal souci consiste à massacrer le plus d'ennemis possible?" - il voit là, et à juste titre, une attitude parfaitement anti-évangélique. La guerre ne devrait servir, en dernier recours, qu'à se défendre contre une injuste agression - c'est ce qui lui semble plus légitime dans le conflit de 39, dont il ne verra pas la fin,  que dans ceux de 14-18 ou de 1870 : il a connu les trois!
Cet homme simple, toujours sobrement vêtu d'une pauvre soutane rapiécée, mais que certains de ses ennemis - il en eut - appelaient "saint Vincent de Poules" (à cause de ses fréquentations mondaines) pouvait aussi avoir le "mot" qui fait mouche, qui "pique là où il faut". Ainsi, à une dame de cette société qui lui confiait "se trouver, ma foi, encore assez jolie, malgré son âge, quand par hasard elle croisait un miroir" et qui demandait à l'abbé : "Est-ce un péché, monsieur l'abbé?", il aurait répondu : "Oh non, madame, ce n'est pas un péché. Mais c'est une erreur..."
C'est lui, surtout, donc, qui recommanda à Marie Noël de publier ses Notes Intimes - et comme il a bien fait!
Bref, la grippe a ses petits avantages. Elle permet de se replonger dans un autre monde - un autre, vraiment? Au fond, les passions sont les mêmes, les vains désirs de briller en société aussi, les rivalités superficielles, politiques ou autres, sont toujours au rendez-vous et l'on s'y épuise. Espérons qu'il reste, dans les "salons" contemporains de notre Europe, de temps en temps, l'un ou l'autre abbé Mugnier pour y promener son regard de bonté, son parapluie mal fermé, et sa bienveillance amusée - une forme admirable de bénédiction.

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