jeudi 15 février 2018

Libérer Dutroux?

En voyant le "ramdam" que font les propos de Me Dayez, je me ressouvenais ce soir du grand livre de l'historien et philosophe Michel Foucault, Surveiller et punir (Gallimard, 1975), précisément consacré aux fonctions anciennes et contemporaines de la prison. La suppression des peines publiquement infligées a, dit l'Auteur, peu à peu enfanté le système contemporain et "panoptique" de la prison : le moins possible de surveillants ou de spectateurs pour observer une peine indéfiniment prolongée. Pour arriver à quoi? Aux fonctions de la prison, telle qu'elle devrait, précisément, "fonctionner" : punir, protéger la société, réinsérer.
Punir, la prison le fait, par l'isolement social qu'elle impose.
Protéger la société, aussi - sauf que, à la sortie, les ex-détenus sont souvent plus dangereux qu'à leur entrée; que, jeunes surtout, ils ont pu en prison se faire relier à de nouveaux réseaux et trafics, et qu'aujourd'hui, en prison toujours, ils ont pu être davantage "radicalisés" dans leurs convictions anti-sociales et pseudo-religieuses.
Réinsérer : malgré tous les efforts de tant de personnes, il semble que ce soit le point le plus difficile, l'échec le plus récurrent de l'institution.
Que faire? La sortie de Me Dayez a au moins le mérite de poser la question, car la question se pose de la façon dont une société traite ses délinquants. Quant à la réponse, franchement, elle demande un vaste, un immense débat, sans précipitation, sans acrimonie, sans confusion surtout entre la nécessité de punir et celle de se venger - la justice, ce n'est pas, ce n'est jamais la vengeance.
La foi chrétienne a-t-elle quelque chose à dire là-dessus?
Oui.
"J'étais en prison, et vous m'avez visité", dit Jésus dans les critères du Jugement Dernier (Mt 25), s'assimilant lui-même au délinquant emprisonné, à celui que la société rejette. Mais j'observe qu'il ne dit pas non plus : "Vous m'avez libéré." Ce qui est en jeu, c'est la compassion que l'on a manifestée pour le prisonnier, et non pas l'élargissement qu'on a fait de sa situation carcérale - cela c'est, cela reste, l'affaire de la Justice (au moins dans un pays démocratique.)
Le pardon, bien sûr, sera évoqué par les chrétiens. Mais le pardon - ce "don qui va par-delà" la faute, suppose une demande de pardon de la part du coupable, sinon c'est de la niaiserie. Or, il est très difficile à un coupable de se reconnaître coupable, c'est une espèce de défaite psychologique surtout quand on a toujours proclamé son innocence. Il faut pour cela le long travail, qui est essentiellement spirituel, d'une vérité faite sur soi-même - et au fond, elle n'est possible que face à Dieu, face à la lumière de Dieu, qui "sonde les reins et les cœurs", et c'est sans doute seulement devant Dieu que l'on peut demander pardon, à Dieu certes, mais aussi aux autres que l'on a durablement meurtris.
Faut-il libérer Dutroux?
Je n'en sais rien. Je comprends que la question soit posée - c'est une vraie question de société. En même temps, je n'ai jamais entendu que cet homme ait formulé la moindre reconnaissance de culpabilité, la moindre demande de pardon - il est, comme disent les psaumes, "enfermé dans sa suffisance", plus encore que dans sa prison!
Le guérir? Ce serait le guérir de lui-même - c'est peut-être demander beaucoup aux psychologues et aux psychiatres.
S'il se reconnaît coupable devant Dieu, il sera libéré intérieurement. C'est cela seulement qui compte, au fond - après, qu'il reste ou non en tôle, peu importe, il sera toujours, et on le comprend, un objet d'opprobre pour la société.  Je comprends que la société ne lui pardonne jamais ses crimes, qui sont horribles, et surtout s'il ne daigne pas les confesser! A l'extérieur de lui-même, il ne sera jamais libre - et c'est lui-même qui s'est enfermé dans cet enfer dont Dieu seul peut le sortir.
Il faut donc que la société s'inquiète du sort des prisons et des prisonniers, car la façon qu'elle a de "surveiller et punir"- Foucault l'a bien montré - est révélatrice de son état moral.
Et prier Dieu de libérer Dutroux - et certains autres - d'eux-mêmes et de ce qui les enferme en eux-mêmes. C'est beaucoup plus important que de le sortir de sa cellule...

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